Devant la 74e promotion, Luc Bronner plaide pour « un journalisme d’intérêt public »
Le directeur des rédactions du Monde était l’invité jeudi 26 septembre 2019 de la 74e Leçon inaugurale du CFJ sur le thème « A quoi sert un journal ? ».
Devant un auditoire de près de 200 étudiants et invités, Luc Bronner a choisi de dispenser « moins une leçon que quelques conseils ». Car, pose-t-il, le journalisme « est un métier dans lequel il faut se méfier des certitudes ». « On devient bon journaliste quand on accepte les critiques », insistera-t-il à plusieurs reprises.
Optimiste sans nier les menaces planant sur le métier, l’ancien reporter plaide pour « un journalisme d’intérêt public » dont l’ambition est « d’aller chercher l’information qui n’est pas accessible ». Quitte à déplaire. « Je trouverais ennuyeux que les journalistes soient aimés. Savoir déplaire est une qualité journalistique […] Ce n’est pas le sujet. Le sujet, c’est la confiance ». Savoir déplaire aux pouvoirs mais pas seulement : « un journal doit pouvoir déranger ses lecteurs », assure-t-il tout en rappelant une tribune publiée dans le cadre du mouvement #metoo.
Or, tous les médias n’ont pas ce projet, estime le directeur des rédaction du Monde. « Quand nous disons ‘les médias’, nous les journalistes, nous commettons une erreur », assure-t-il avant d’opposer le journalisme de flux, qui subit l’actualité, à un journalisme capable de « remonter ou de dévier le courant de l’information », « d’influer sur l’actualité et pas seulement de la subir ». Il cite comme exemples « rassurants » « France Inter, Mediapart, France Culture ou Les Jours, et… Le Monde bien sûr ! »; puis dénonce « certaines rédactions […] attirées par ‘le bruit et l’odeur’ des polémiques », détournant une expression du président Jacques Chirac dont le décès a été annoncé le matin même.
« Il y a toujours une leçon à tirer du reportage”
« Le besoin de journalistes de qualité n’a jamais été aussi grand. Le fait de proposer un rendez-vous est un enjeu majeur. C’est tout l’inverse de ce que font les chaînes d’information en continu ». “N’apportent-elles pas un regard complémentaire ?”, interroge une étudiante. “Vous avez raison, j’ai été trop rapide, il y a bien évidemment du très bon travail dans les chaînes d’informations”, consent-il. A nouveau interpellé sur ce thème (“Nous sommes une majorité à devoir travailler dans des médias que vous critiquez), le journaliste du Monde, cette fois, ne lâche rien : “Tentez dans la mesure du possible de résister. Le combat de la liberté de l’information, vous en serez les dépositaires dans les années qui viennent”. “Soyez exigeants avec vous-mêmes et croyez en vous !”
Plusieurs fois, le journaliste revient sur son propre parcours, encourageant les jeunes à embrasser cette profession « ouverte » : lui-même indique avoir rejoint Le Monde à la fin des années 90 comme stagiaire après avoir fait une école (1), sans stage à son actif et sans relations dans le milieu. Les exhortant à travailler et à travailler beaucoup, l’ex reporter des banlieues leur avoue : « J’ai un souvenir épouvantable de mon premier reportage en école de journalisme. Cela s’apprend. Il y a toujours une leçon à tirer du reportage”. « Le terrain vous manque ? », lui demande une étudiante. « Oui, ça me manque beaucoup ».
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« Un journal ne doit pas servir à reverser des dividendes à des actionnaires »
Interrogé sur le droit d’agrément obtenu par la rédaction du Monde dans un conflit l’opposant à certains de ses actionnaires, Luc Bronner explique : « On ne pourra pas avoir d’entrée d’actionnaire contre notre volonté. L’objectif que l’on vise : obliger ces actionnaires à placer leur capital dans une fondation. Parce qu’un journal ne doit pas servir à reverser des dividendes à des actionnaires”. Mais il assure : « On a écrit sur nos actionnaires, on a écrit sur Daniel Kretinsky lorsqu’il est devenu actionnaire minoritaire du Monde. Jusqu’à présent, et j’insiste sur cela, nos actionnaires ont toujours respecté notre indépendance” Mais dans cette épisode de la vie du journal, assure-t-il, « ce qui était encore plus fort, c’est qu’on a vu les lecteurs se mobiliser. On voulait montrer que, si les actionnaires voulaient s’attaquer à l’indépendance du journal, les lecteurs étaient avec nous”.
La leçon inaugurale était suivie de la remise des diplômes de la 72e promotion du CFJ. Ci-dessous, figurent les photos de tous les diplômés.
Tous les diplômés de la 72e promotion du CFJ.